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Sur les rives de la Corrèze, la ville de Brive où je n’avais jamais mis les pieds.

L’aventure est au coin de la rue, le plaisir n’a pas de maison et la poésie est quotidienne. Parcourir 172 fois le même circuit d’1km200 m’aura procuré bien des joies et bien des souffrances. Voici le récit de cette petite aventure de 24heures ou 1440 minutes, ou 86400 secondes. Qu’est-ce qu’une journée dans une vie ?

Après Vierzon qui rime avec « abandon » en 2020 pour blessure après 8h (muscle iliaque déchiré), je ne pouvais rester sur un échec. J’avais donc coché la case 24H de Brive.

 Les aléas de la préparation :

Toujours mon souci de nerf sciatique qui vient se frotter contre mon muscle pyramidal dans la fesse, et qui rend impossible toute activité à haute vitesse. J’ai appris à courir avec et je sais que si je dépasse le 15km/h, je serai arrêté quelque temps. Alors je gère.

8 février : troisième injection de vaccin et l’épaule qui se bloque. On peut courir mais la gêne est importante et les sensations sont mauvaises.

14 février : positif au COVID. Aucun symptôme mais en course à pied, je sens qu’il y a un « truc » qui rend impossible toute progression et que je fatigue plus rapidement.

Du coup, je décide de ne pas participer aux championnats de France de 100km début avril à Belvès, course qui sera remplacée par le marathon de Nantes le 18 avril. 3H13 de plaisir sur un parcours très agréable en centre ville. Surtout, pour la première fois je cours en compétition avec les fameuses carbone (Adidas Adizero Pro2). C’est un plaisir ces godasses qui coûtent une blinde,  l’impression d’être monté sur ressorts (effet Marsupilami). Mais dans la semaine qui suit, je ressens des douleurs dans le bas-ventre : début de pubalgie, douleur encore inconnue jusque-là, sans doute une conséquence des nouvelles chaussures (nouvelle posture, autres muscles utilisés). Qui plus est, je suis moins sérieux au niveau de l’alimentation et avec quelques kilos en trop (tout au niveau du ventre), les abdos sont moins performants. Pour mon 24h, je garderai donc mes chaussures de prédilection : Adidas Boston 9. Je garderai la même paire pendant toute la course. Une ampoule éclatera et me fera bien souffrir mais globalement, pas de problèmes avec les pieds (Tano et Nok sont mes amis).

Même sans faire de VMA, la préparation se passe bien bon an mal an : 600km en mars, 700 en avril avec une pointe à 200km à trois semaines de l’objectif. Je privilégie le seuil aérobie à 4.30 au kilo, et en allure 24h je reste sous les 11km/h. Pendant la course, mon kilomètre le plus rapide sera parcouru en 5mn 33, soit 10.9 km/h.

 Le circuit.

Moins d’un kilomètre et deux cents mètres. Tout d’abord, le faux plat qui se transforme en Alpe d’Huez au fil des heures ! 3 mètres de dénivelé sur 100 m ce n’est rien pourtant ! Circuit mixte avec du terrain souple dans le parc, avec beaucoup de gravillons et de poussière comme le sol est très sec. Un petit dévers sur 100m mais pour le reste, le circuit est parfait.

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Je vais d’abord courir sans interruption pendant 5H (sauf problème de chaussure gauche qui me serre trop), puis je marcherai dans la « côte ». Au bout de 8h, j’ajouterai deux autres zones de marche sur 100m. Avec l’expérience, je dirais que ce n’était pas assez et surtout trop tard. Je commencerai quasiment dès le début de la course avec ces trois fois cent mètres de marche active.

 La course

Passage au marathon en 4H10. Passage au 100KM en 10H30. C’était encore trop rapide.

 J’aime le passage de la nuit noire dans le parc au milieu du silence, avant de longer le bruit de La Corrèze, avant de retourner vers la grande halle où des centaines d’accompagnateurs attendent sous les lumières éblouissantes. De l’obscurité aux illuminations en scrutant à chaque passage sur le tapis, le classement qui s’affiche sur l’écran. Du silence à la musique que j’aime reprendre en chantant à voix haute… quand l’endorphine fait son effet.

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Parti prudemment mais sans doute pas assez, je suis aux alentours de la cinquantième position au bout d’une heure. Puis je vais gagner 5 places par heure environ. Je passe aux 100km en 10h30 environ en 20ème position. On me dit que je suis 3ème M3. Un podium serait donc possible ? Au bout de 12h en tout cas, je sens que cela va être compliqué pour franchir la barrière des 200 bornes. Les quadriceps sont déjà explosés et je marcherai tout le temps sur les cinq dernières heures.

J’aime ces moments de lutte entre le corps et le cerveau. L’un dit il faut s’arrêter, l’autre dit qu’il faut continuer. Dialoguer avec son corps, c’est apprendre à se connaitre.

Deux moments d’hallucination au matin : le coureur devant moi ne porte pas de short ! Il est tout nu, je vois ses fesses ! Puis surtout, au bord du chemin, au bout de 23h de course et 29heures sans sommeil, une dame est assise dans son fauteuil : je m’approche, je la regarde, je la fixe… c’est ma mère ! Au tour suivant, même endroit, elle n’a pas bougé, nos regards se croisent… non, ce n’est pas elle, mais elle lui ressemble tellement…

 J’aime courir au milieu de la nuit et partager des efforts avec des inconnus, en observant leur foulée, leur allure. Nous souffrons ensemble. Au final, c’est le cerveau de chacun qui prend les décisions. Mais pour atteindre les objectifs, les autres sont essentiels. Ils sont là, chacun dans sa bulle et pourtant nous sommes ensemble.

Courir avec des inconnus ? Je ne peux m’empêcher d’imaginer la vie de chacun. J’ai le temps d’y réfléchir. Certains viennent de Lituanie, une autre de Hollande, mais tous partagent la même passion. Je ne pense pas qu’à Laure mon épouse, ou à mes quatre filles, ou à tous mes élèves qui préparent le bac. J’oublie la COVID, la guerre en Ukraine, la politique et le monde qui va mal et je file sous les étoiles que je prends le temps de contempler parfois.

Il y a le coureur corse qui se promène au milieu de la nuit avec des chants attachés à sa ceinture.

Il y a cette vieille dame, toute petite avec ses petits pas de souris , à l’allure tellement régulière même au petit matin.

Il y a cette dame allongée au bord du chemin qui perd connaissance et qui repartira quelques heures plus tard.

Il y a cette dame, Humbert Barbel, qui a battu  le record du monde en M9 sur cette course avec plus de 125 kilomètres ! Chapeau, chapeau, chapeau bas !

Il y a cet homme à la jambe de bois (le sosie de Daniel Herrero), marchant clopin clopant, présent sur toutes les courses de 24heures et qui marche, et qui marche accompagné d’un cliquetis mécanique.

Il y a Corinne Gruffaz qui court maquillée et avec un doudou, qui finira sur les rotules (238km au total), en lutte pour le titre de championne de France dans la dernière heure, que je tenterai d’emmener dans ma foulée dans la dernière heure.

Il y a sa fille qui a hurlé pendant toutes les dernières heures sur tout le parcours des « Allez Coco ! Allez Coco ! » pour encourager sa mère.

Il y a cette autre jeune fille présente pendant 24h au bord du chemin qui a encouragé tout le monde tout le temps.

Il y a l’impressionnante championne de France, Stéphanie Gicquel, légère et menue, la femme qui a parcouru 2000km en Antarctique, métronome imperturbable au style parfait, autrice d’un excellent livre,  On naît tous aventurier,qui retrace ses exploits.

Il y a Patrice Bruel qui finira 3ème juste devant moi au classement des plus de 50 ans avec une gestion de course très particulière : il court très vite, puis il disparait. Il revient puis il dépasse tout le monde.

Il y a ce champion Michaël Boch à la dérive, qui continue tout de même en marchant, à qui je dis : « ça va aller ? » et qui me répond « Oui, c’est pas grave », façon de dire que tout ce cirque des circassiens ce n’est vraiment pas important et qu’il faut relativiser.

Et il y a tous ces autres coureurs dont je ne connais pas le nom, avec qui je n’ai échangé ni un mot, et à peine un regard, mais avec qui j’ai partagé la même expérience, partagé ma souffrance, chacun dans sa bulle.

Et puis il y a les bénévoles toujours prêts à aider, encourager, sans qui rien ne serait possible.

Fraîcheur de l’aube : tous on froid. Les bonnets et les gants sont même de sortie. Quel contraste avec le plein soleil de l’après-midi bleu !

Et puis il y a l’euphorie des 30 dernières minutes quand on sait que l’on va toucher au but et que, bizarrement, on peut accélérer parce que la douleur devient moindre. On passe sous la grande halle ouverte une dernière fois avec un morceau de bois à la main qu’il faudra poser sur le sol blanc de poussières, devenu terre battue, et tous les accompagnateurs applaudissent à tout rompre, à tout va, et les forces reviennent comme par magie, et les sourires traversent les visages.

Bilan : 193KM et 250M parcourus avec 15 minutes de pause en tout et pour tout, une 19ème place au scratch, 4ème en M3, à trois kilomètres de la médaille de bronze et du podium. Une magnifique médaille en chocolat pour toute récompense, cela me va.

 Et puis il y a l’équipe

 Nous étions deux membres de GDM Saint-James à participer. Mickael Jeanne,

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vainqueur des 100km de Millau en 2014, la plus belle ligne de son palmarès, victime de crampes après 75km et qui repartira pour finir comme une flèche.

 

 Nos accompagnateurs étaient au nombre de quatre :

Daniel, venu avec son camping-car, ce qui nous a bien aidés au niveau de la logistique.

Dédé, passionné de course à pied, toujours présent, toujours prêt à rendre service.

Jacotte, mon chauffeur de luxe pour le retour !

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 Et puis Ludo, mon « bof », qui a été incroyable pour me soutenir. Il était là à 1h, 3h, 5h du matin pour me suivre sur le chemin obscur, m’encourager, me donner des ondes positives. Toujours là pour me tendre une bouteille quand je ne voulais plus boire. Toujours là pour me tendre de la nourriture quand je ne pouvais plus rien avaler (contrairement aux 100km sur lesquels le problème est récurrent, aucun souci gastrique. Parce que l’allure est moindre ? Parce que j’ai ajouté du jus de citron dans les boissons ?)

 L’après-course.

Le coup de pistolet retentit. La course est finie ? Que dois-je faire ? Bizarrement j’hésite, un doute me traverse : je dois m’arrêter ? Poser mon bout de bois au sol avec le numéro 45 dessus. Je m’affale presque. Je suis trop peu lucide pour me rendre compte. Ma sœur Marina est là avec mon neveu Noé. Je passe sous la rubalise et je quitte le circuit, je quitte mon espace vital, je rentre dans une autre dimension, je franchis une barrière… je n’aurais pas dû tenter un sprint sur les 400 derniers mètres

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… je suis pris de vertiges.  J’ai besoin de m’assoeir. La vision devient trouble. Je ne bouge plus pour ne pas perdre connaissance… au poste de secours je vais rester deux heures pour retrouver mes esprits (j’ai l’impression que cela a duré quinze minutes). J’ai chaud, j’ai froid, j’ai 38.5 et je grelotte, on me pose une perf. Rien de grave : une grosse fatigue après 30h sans sommeil, avec le sentiment d’être allé au bout de mes capacités.

Je repartirai le jour même en voiture avec Jacotte, membre très actif de GDM Saint-James, qui me conduira à destination, plein Nord, pour retrouver la baie du Mont-Saint-Michel.

 Conclusion 

 Si c’était à refaire, je repartirais encore plus doucement. Je marcherais dans la « côte » dès le premier tour. Et si le vendredi je disais  « plus jamais », le samedi je disais « à quand le prochain ? ».

Brive, sur les rives de la Corrèze, je pense que je retournerai te voir. Avant cela, il faudra que j’apprenne à courir encore plus lentement.